La Cour de justice de la République : une institution contestée

La Cour de justice de la République (CJR) juge les membres du gouvernement pour les actes délictueux ou criminels commis dans l’exercice de leur fonction. Accusée d’être une justice d’exception, sa suppression a été plusieurs fois envisagée.

La Cour de justice de la République (CJR) est accusée d’être une justice d’exception, symbole d’une justice à deux vitesses. Sa création en 1993 avait pourtant pour objectif de réconcilier l’opinion publique avec ses responsables politiques.

Compétences, organisation et procédure

Créée par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, la Cour de justice de la République (CJR) est mentionnée aux articles 68-1 et 68-2 dans le titre X de la Constitution (De la responsabilité pénale des membres du gouvernement).

La Cour est compétente pour juger les membres du gouvernement (Premier ministre, ministres, secrétaires d’État) pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Les infractions n’ayant aucun lien avec la conduite de la politique de la nation sont du ressort des juridictions pénales de droit commun.

La composition et le fonctionnement de la Cour ont été fixés par la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

La Cour est composée de quinze juges : douze parlementaires (six élus par l’Assemblée nationale et six élus par le Sénat) et de trois magistrats du siège à la Cour de cassation. Un de ces trois magistrats la préside.

La Cour peut être saisie par toute personne, française ou étrangère, qui s’estime lésée par un crime ou un délit imputé à un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions.

La procédure de saisine comprend trois étapes :

  • La commission des requêtes, composée de sept magistrats issus de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes, décide de l’engagement des poursuites. Ce filtre est mis en place afin que le nouveau droit offert aux particuliers ne devienne pas une arme politique contre l’action gouvernementale. La personne qui se déclare victime saisit la commission des requêtes. Cette dernière décide de la transmission de la plainte au procureur général près la Cour de cassation afin de saisir la Cour de justice de la République. Elle peut, à l’inverse, prononcer le classement de la procédure.
  • Si la plainte est déclarée recevable, la commission d’instruction, composée de trois magistrats de la Cour de cassation, procède aux auditions des personnes se déclarant victimes et des personnes incriminées. Elle décide ou non du renvoi de ces dernières devant la CJR.
  • La formation de jugement, composée de trois magistrats et de douze parlementaires, se prononce à la majorité absolue et à bulletin secret sur la culpabilité du prévenu puis, en cas de culpabilité, sur l’application de la peine infligée. Son arrêt peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation, en cas de rejet de ses décisions, la Cour doit être recomposée avant de rejuger l’affaire.

Des ministres et des secrétaires d’État jugés

Depuis sa création, la CJR a prononcé un jugement à l’encontre de huit ministres et deux secrétaires d’État.

En 1999, dans l’affaire du sang contaminé, la CJR a relaxé Laurent Fabius, Premier ministre à l’époque des faits, et Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale. Elle a condamné "pour manquement à une obligation de sécurité ou de prudence", tout en le dispensant de peine, Edmond Hervé, secrétaire d’État à la Santé.

En 2000, elle a relaxé Ségolène Royal, ministre de la Famille, poursuivie en diffamation par des enseignants qu’elle avait accusés de couvrir des actes de bizutage.

En 2004, la Cour a condamné, après une instruction de dix ans, Michel Gillibert, secrétaire d’État aux handicapés entre 1988 et 1993, "coupable d’escroquerie au préjudice de l’État", à trois ans d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende ainsi qu’à cinq ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité.

En avril 2010, la Cour a condamné Charles Pasqua, ministre de l'intérieur à l’époque des faits, à un an de prison avec sursis pour complicité d’abus de biens sociaux et de recel dans l’affaire des détournements de fonds au préjudice de la Sofremi, société d’exportation de matériel de police dépendant du ministère. Il a été blanchi dans les affaires du casino d’Annemasse où il était poursuivi pour corruption passive, et celle de GEC-Alsthom dans laquelle il comparaissait pour complicité et recel d’abus de biens sociaux.

En mai 2011, le procureur général de la Cour de cassation, ayant relevé "de nombreux motifs de suspecter la régularité, voire la légalité du règlement arbitral litigieux pouvant caractériser le délit d’abus d’autorité" a demandé une enquête visant Christine Lagarde, ancienne ministre de l'économie, pour "abus d’autorité" dans l’arbitrage favorable à Bernard Tapie. Le 19 décembre 2016, elle a été reconnue coupable de "négligence", mais dispensée de peine.

En juin 2018, l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, soupçonné d’avoir transmis des informations confidentielles au député des Hauts-de-Seine Thierry Solère sur une enquête pénale le concernant, a été mis en examen pour "violation du secret professionnel". Le 30 septembre 2019, la CJR a condamné Jean-Jacques Urvoas à un mois de prison avec sursis et à une amende de 5000 euros.

En mars 2021, la CJR a relaxé l'ex-Premier ministre Édouard Balladur, qui était poursuivi pour complicité et recel d'abus de biens sociaux dans l'affaire du financement occulte de sa campagne présidentielle. Elle a en revanche condamné pour complicité dans la même affaire le ministre de la défense de l'époque, François Léotard, à une peine de prison de deux ans avec sursis et à 100 000 euros d'amende.

En novembre 2023, la CJR a relaxé le ministre de la justice, Éric Dupont-Moretti, poursuivi pour prise illégale d'intérêts.

En 1993, la CJR remplace la Haute Cour de justice

Jusqu’à la réforme constitutionnelle de 1993, seul le Parlement avait la faculté d’engager des poursuites à l’encontre des membres du gouvernement devant ce qui s’appelait alors la Haute Cour de justice, composée uniquement de parlementaires élus par chaque assemblée. Cette dernière devant être saisie après le vote d’un texte identique dans les deux assemblées était rarement convoquée.

La création en 1993 de la CJR avait pour objectif de réconcilier l’opinion publique avec ses responsables politiques. L'opinion jugeait  très sévèrement la classe politique qui lui semblait échapper aux règles communes en particulier lors de certaines affaires liées au financement de la vie politique et surtout lors de l’affaire dite "du sang contaminé".

La création de la CJR s’appuie sur les propositions du comité présidé par le doyen Vedel (Comité consultatif pour la révision de la Constitution) institué à l’initiative de François Mitterrand fin 1992. La CJR doit répondre à la nécessité d’établir une définition de la responsabilité pénale des élus et des responsables de l’exécutif dans l’exercice de leurs mandats et de leurs fonctions, tout en faisant en sorte que la justice n’interfère pas sur la politique menée.

Les projets de suppression de la CJR

La légitimité de la CJR est contestée. Selon Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public, ses décisions sont peu convaincantes, les condamnations très faibles, parfois assorties de jugement moraux. De plus, les ministres sont jugés par la CJR mais leurs conseillers par les tribunaux ordinaires, ce qui conduit à une justice à deux vitesses et des jugements peu cohérents.

La suppression de la CJR a été promise par François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012. La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, reprend cette proposition dans son rapport remis en novembre 2012. Le projet de loi constitutionnelle du 14 mars 2013 relatif à la responsabilité juridictionnelle du président de la République et des membres du gouvernement prévoit la suppression de la CJR, "qui constitue un privilège qui n’a plus de raison d’être". Selon ce texte, les ministres devraient être jugés par les juridictions pénales de droit commun, y compris pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, après autorisation préalable de la commission des requêtes. Renvoyé à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale, le projet de loi a été abandonné.

Dans le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique présenté en conseil des ministres le 28 août 2019, la suppression de la Cour de justice de la République est de nouveau proposée, les ministres devant être jugés par la Cour d’appel de Paris. Ce texte n'a pas été examiné par le Parlement.

Ecrit par : J. Bayard