2024 sera difficile pour les médias d’information

Début décembre, 30 journalistes, universitaires, patrons de médias et leaders philanthropiques de nombreux pays se sont réunis à Ditchley Park, un vieux manoir anglais situé à 100 kilomètres au nord-ouest de Londres. Ils étaient là à l’invitation de la Fondation Ditchley pour discuter des défis auxquels est confronté le « quatrième pouvoir ».

L’année 2024 sera, de l’avis des participants, une année cruciale pour la démocratie. Plus de 70 pays doivent tenir des élections nationales, dont les États-Unis, l’Inde et le Mexique. Dans certains de ces pays, des candidats extrémistes sont en position de force pour l’emporter. « L’une des plus grandes démocraties du monde pourrait devenir une dictature », a fait remarquer l’un d’entre eux, citant la dernière boutade de Donald Trump. Compte tenu des dangers qu’un triomphe de Trump pourrait entraîner pour la démocratie, comment les médias devraient-ils couvrir l’élection présidentielle de 2024 ?

Certains participants estiment qu’il est du devoir de la presse de lutter pour la démocratie : « La première cible des dictateurs est la presse libre. Il faut créer un mouvement en faveur de la démocratie. » D’autres, dont je faisais partie, ont plaidé pour que les journalistes s’en tiennent à une couverture rigoureuse et objective de l’actualité.

« Nous devons nous demander comment nous rendre plus dignes de confiance. Est-ce que le fait de se joindre au cri de guerre pour la démocratie renforce la confiance ? », a demandé la responsable d’une organisation à but non lucratif. Sa réponse était « non ».

Le rôle des médias sera particulièrement important dans la détection de la désinformation, une tâche qui devient de plus en plus difficile. En effet, grâce à l’intelligence artificielle (IA), les faux enregistrements et les fausses vidéos deviennent si sophistiqués qu’il est impossible de les distinguer des authentiques. Il se peut que la supercherie ne puisse être révélée qu’avec l’aide de… l’IA. Le cas récent d’un enregistrement, diffusé sur les médias sociaux deux jours seulement avant les élections nationales en Slovaquie, était présent dans l’esprit de nombreux participants. Sur l’enregistrement, on entend un homme politique de premier plan et une journaliste discuter de la manière de truquer les élections. On a appris par la suite que l’enregistrement avait été manipulé à l’aide de l’IA.

De manière plus générale, l’impact de l’IA sur les salles de rédaction a été abordé. Il s’avère que de nombreux organes de presse utilisent déjà l’IA pour des tâches de base telles que la vérification des faits et des sources, la traduction et la transcription. Les articles dont le format est fixe et répétitif, tels que les résultats sportifs et les données financières des entreprises, peuvent être rédigés par des applications d’IA. Cela signifie-t-il que les journalistes sont une espèce menacée ? La plupart des participants pensent que non, que l’IA pourrait être un outil puissant et utile entre les mains des journalistes, pour l’analyse des données utilisées dans le journalisme d’investigation, par exemple. « Nous devons embrasser la technologie, l’appliquer pour faire fonctionner notre métier », a déclaré un participant.

Un risque plus important pour les salles de rédaction vient du fait que les citoyens des démocraties se méfient plus que jamais des médias d’information. Selon un sondage international de l’Institut Reuters pour l’étude du journalisme, moins de la moitié (48 %) des personnes interrogées se disent très intéressées par les nouvelles, soit une baisse de 15 points de pourcentage par rapport aux 63 % de 2017. Non seulement moins de personnes consultent les nouvelles dans les médias traditionnels, mais aussi elles s’intéressent à d’autres sortes d’information. Le défi consiste donc à « prouver notre pertinence ».

Reste le problème du modèle économique des médias, gravement perturbé par des plateformes comme Facebook, Google, TikTok, etc. qui se taillent désormais la part du lion dans les recettes publicitaires. Comment les médias traditionnels peuvent-ils survivre sans ces revenus ?

Je retiens de la conférence qu’il n’y a pas un seul nouveau modèle d’entreprise qui sauvera le journalisme, mais plusieurs modèles, en fonction de la nature de chaque média et de son marché. L’un des invités de Ditchley a expliqué comment il avait lancé une société de médias proposant aux citoyens d’une grande ville des informations locales approfondies. Le média en ligne a rapidement attiré un grand nombre d’adeptes, tout en maintenant les dépenses à un niveau peu élevé. « Nous devons aborder les sujets qui intéressent les gens, a-t-il déclaré. Il y a peu de concurrence dans le domaine de l’information locale, de sorte que l’on peut obtenir un retour sur investissement significatif avec un investissement modeste. »

Dans de nombreux pays, les médias comptent sur les organisations philanthropiques pour combler une partie du manque à gagner. En effet, les grandes fondations s’impliquent de plus en plus dans le soutien aux organismes de presse. « Mais la philanthropie ne peut pas être la seule solution », a averti le dirigeant d’une de ces fondations. L’approche canadienne, selon laquelle les gouvernements fédéral et provinciaux subventionnent les médias, semble avoir suscité peu d’intérêt.

2024 sera une année difficile pour la démocratie et la presse libre. Dans de nombreux pays, les journalistes sont attaqués. Selon un bilan publié par Reporters sans frontières à la mi-décembre, 45 journalistes avaient été tués jusque-là en 2023 et 521, détenus. Un nombre bien plus important est victime de campagnes d’intimidation de la part de politiciens sans scrupules. Comment les médias doivent-ils réagir ? L’un des participants à l’évènement de Ditchley a déclaré : « Nous devons résister aux menaces et aux pressions exercées sur nous en faisant notre travail, pas en ripostant. » Des journalistes qui font leur travail, cela semble assez simple. Pourtant, tout le monde s’accorde à dire qu’il sera loin d’être simple de rendre compte de l’actualité au cours de l’année qui commence.

Ecrit par : J. Bayard